« Mais que l’artiste se rassure ! Quoi qu’il propose aux yeux des autres dans l’ordre du réalisme, de la violence, de l’horreur, de l’abject ou de l’infâme, il sera toujours dépassé par la réalité vraie ! » 

Marc Jimenez, entretien, L’Observatoire de la génétique, n° 27, avril-mai 2006.

Depuis la fin du siècle dernier, subitement la mort s’est (presque) tue.

La mort est devenue dans les sociétés occidentales le tabou par excellence. Pourtant, ce thème de la mort effectue un retour en force dans notre société occidentale et particulièrement au travers de la création contemporaine : arts graphiques et visuels, littérature, cinéma, séries télés, théâtre, musiques, etc., aucun domaine artistique n’y échappe.

Si le thème de la mort traverse toute l’histoire de l’art, ce qui nous interpelle est la façon actuelle, dont les créateurs contemporains s’en saisissent, ce qu’ils donnent à voir, à entendre et à lire aux publics.

Le vrai changement par rapport aux siècles précédents est la place que le cadavre réel y occupe, sujet mais aussi objet au sens de matière première de l’?uvre. Leurs créations, au-delà du fait qu’elles plaisent, dérangent, heurtent parfois, font l’objet de débats et polémiques, interrogent nos pratiques et représentations ? notre rapport social à la mort ?, et posent la question des limites (éthiques et esthétiques) de l’?uvre.

L’image reste le mode d’expression le plus dense et le plus direct de l’homme devant le mystère du passage, car la mort a quelque chose d’indicible. Si elle est une évidence de fait, la mort reste toujours un scandale éveillant chez ceux qui en sont les témoins curiosité et horreur mais aussi incompréhension.

Partons à la découverte de la représentation artistique de la mort au fil des siècles …

Les représentations de la mort ou plutôt de morts trouvent leur origine dans l’art funéraire. Les tombeaux et cimetières de l’Antiquité sont marqués de peintures, de sculptures et d’inscriptions. Pour perpétuer les traits des Pharaons, les Egyptiens développèrent la pratique des masques mortuaires placés sur les sarcophages.

Mais si l’art funéraire a pour but de préserver la mémoire du mort, de « l’immortaliser », il doit aussi parfois accompagner le mort dans l’au-delà et donc être essentiellement éphémère, à l’image des représentations en papier brûlées avec le défunt.

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Anonyme égyptien, Masque funéraire, Egypte, fin 01er siècle – début 02e siècle. Egyptien, Plâtre. Musée des Beaux-Arts de Dijon.

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Ce chef-d’?uvre de la peinture de la XVIIIe dynastie est, dans l’art égyptien, l’une des rares représentations du sentiment de la douleur devant la mort.

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XVIIIe dynastie, règnes d’Aménophis III (1390-1352) et d’Akhénaton (1352-1338 av JC)

 

A partir du onzième siècle, en Europe, pour les tombeaux de personnes importantes, on représente la forme corporelle du mort, sous forme de gisants. Derrière les apparences, ces personnages ne sont en fait ni morts, ni vivants, mais, bienheureux, ils reposent . La mort n’apparaît donc pas de manière choquante.

 

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 Gisant de Charles V

 

Du XIIIè au XVè siècle, apparaît un nouveau ?style? de tombeaux : celui des transis, qui succèdent aux gisants. Les transis représentent le corps du défunt lors de sa décomposition, autrement dit, un cadavre. D’un réalisme parfois difficilement soutenable, ils sont l’expression d’un temps en proie à des tourments, provoqués par la peste de 1348 qui a littéralement décimé l’Europe, puisqu’on estime qu’un tiers de la population a péri, puis par la Guerre de Cent ans, par le climat rigoureux qui s’est abattu sur l’Europe à partir du XIVe siècle?

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Ligier Richier a exécuté le transi de René de Châlon (ci-dessus), qui se trouve en l’église St-Etienne de Bar-le-Duc, 1544.

 

Une vanité est une catégorie particulière de nature morte dont la composition allégorique suggère que l’existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d’importance. Très répandu à l’époque baroque (XVIIème), particulièrement en Hollande, ce thème de la vanité s’étend à des représentations picturales comprenant aussi des personnages vivants.

 

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La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour Georges (1593-1652)

 

 

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Petite avancée dans le temps 😉 … Dali et Halsman voulaient revisiter ce symbole de la vanité en créant une version moderne.

 

 

Le développement de l’anatomie, du XVè au XVIIè siècle, stimule la curiosité et la connaissance du corps, du squelette, et donc encourage, dans les représentations, une tendance au réalisme. La mort est moins assimilée à un art de mourir moralisant ou religieux qu’à une expérience des limites de l’expérience humaine. Or, face à cette difficulté à penser « La Mort » ,les images deviennent plus ambiguës ; un mélange de séduction et de peur. Ainsi l’un des éléments nouveaux de l’iconographie mortuaire, l’érotisme, qui apparaît au XVIè siècle, dans les tableaux de Hans Baldung par exemple, témoigne bien de ce macabre désacralisé.

 

 

Triptyque de Saint Sébastien, panneau central, 1507, Nürnberg, Germanisches Nationalmuseum, Hans Baldung, dit Grien.

Au XIXè siècle dans les oeuvres de Münch et au XXè siècle dans celles de Schiele, les images de la mort se font donc plus terrestres, plus humanisées.

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Edouard Munch, la jeune fille et la mort

 

schiele_la_mort_1915.jpg » La jeune fille et la mort  » 1915 huile sur toile – 150 x 180 cmÖsterreichische Galerie Belvedere – Vienne

« Après sa rupture avec Wally , Egon Schiele ne reverra plus celle qui fut sa compagne, celle ci s’engage dans la Croix Rouge et mourra dans les Balkans. Culpabilité de l’artiste qui se représente sous les traits de la mort enserrant dans ses bras une jeune fille ressemblant à Wally… »

 

Les guerres mondiales du XXème siècle, et la mort à grande échelle, ont aussi amené une vision artistique sur la mort.

Créé en quelques semaines par Pablo Picasso, sur commande des républicains pour le pavillon Espagnol de l’Exposition universelle de Paris de 1937, Guernica exprime la révolte du peintre espagnol. Cette immense toile monochrome est le symbole des horreurs de la guerre, inspiré du bombardement de la ville de Guernica, le 26 avril 1937, pendant la guerre d’Espagne, par l’aviation nazie, alliée de Franco (1600 morts).

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Les années 80, les années SIDA … la mort, l’art et le sexe flirtent.

La mort a occupé une place centrale dans l’?uvre de Basquiat et a fini par le rattraper. Ainsi Riding with death (voir ci-dessus), l’un de ses dernières ?uvres, présente un homme noir (lui-même?) chevauchant le squelette d’un cheval.

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Un des artistes emblématiques de cette période est l’extravagant Keith Haring mort à 31 ans du Sida en 1990.

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Finissons par ces vingts dernières années , et une petite incartade vers la sculpture et la photographie …

 

mortblack.jpgAndres Serrano, série Morgue, 1992.

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For The Love Of God, de Damian Hirst.2007

 

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 DE L’AUTRE COTE DE L’IMAGE 2011, 6ème et 3ème Classe Histoire de l’Art, Collège J Deteil, Limoux.
(http://histoiredelartdelteil.artblog.fr/744532/Juste-apres/)
 

 

La bande dessinées née à la fin du XIXème, parle aussi désormais de la mort. Loin des premiers classiques pour enfants, les auteurs de bds n’ont plus peur de parler de ce sujet tabou  … Dans « Auchwitz » de Pascal Croci, le scénario, inspiré du témoignage des déportés de la Shoah, décrit avec réalisme la dureté de la vie dans les camps de concentration.

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Le Graffiti ou « Street Art », cet art graphique de la rue exprime aussi parfois la mort et le deuil … Ces artistes urbains contemporains n’hésitent pas à créer des fresques monumentales célébrant le décès de célébrités du Rap ou HipHop , ou rendant hommage à personnes décédés dans leurs quartiers suite à des rixes de gangs.

 

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Graff en l’honneur de la mort de Tupac Shakur

L’art est donc fondamentalement lié à la mort car il permet de saisir l’insaisissable et tente de le representer, mais il reste aussi paradoxalement un moyen d’immortaliser l’éphémère.

Difficile de parler de tous les artistes qui ont abordé le thème de la mort , mais je pense que je ferai d’autres articles sur le sujet … c’est très vaste ! :-)

A très bientôt, Sandrine.

Ressources :
Thomas L.-V., « Problèmes de la mort aujourd’hui », dans La Mort aujourd’hui, Paris, Anthropos, 1977
http://filiation.ens-lsh.fr/default.htm
http://lamortdanslart.com/