Si absent et si présent

Par Béatrice Gernot

Si la photo est « le medium de l’écriture du vacillement qui pose dans un même mouvement présence et absence », il n’est qu’à s’intéresser au travail de Sophie Zénon pour le mesurer, et plus précisément, regarder ses photographies des très célèbres momies du couvent des Capucins de Palerme. Elles sont grandes, immenses, déstabilisantes et ne peuvent que nous questionner sur la vie et sur la mort. Pour moi, les voir et les revoir me ramène toujours quelques années en arrière. C’était un été à Palerme, je voulais exorciser ma peur de la mort alors que mon corps était en train de donner vie. Je voulais voir. Portée par un sentiment d’attraction- répulsion, je suis entrée dans les catacombes pour les affronter, et fus troublée. Car ces momies disent la vie bien au-delà de la mort, la vie de ces hommes et de ces femmes qui laissent trace, expriment encore un peu ce qu’ils étaient – socialement parlant – dans leurs soieries, velours et dentelles… Elles semblent nous regarder, et forcent à nous interroger tant leurs rictus nous interpellent. Adossés aux murs, ces corps desséchés nous parlent, nous questionnent. Mais comment a-t-il donc été possible d’en faire l’objet d’un travail photographique.

Une réponse nous est donnée par Sophie Zénon, ethnologue, plasticienne et photographe qui explore la mort en Occident et la représentation du corps après la mort. Le premier volet de son cycle photographique intitulé In Case We Die est dédié à ces momies. Trois semaines parmi 8000 momies, trois siècles visités au travers de ces corps déshydratés d’hommes et femmes confiés aux moines entre 1559 et 1920 , et un résultat époustouflant : des corps comme remis en mouvement, revenus à la vie. Elles sont étrangement belles ces immortelles toutes en demi-teintes, ô combien fascinantes et déstabilisantes. Un esthétisme d’une grande intensité qui n’occulte en rien les étranges sentiments qui nous habitent : fascination, peur, effroi…connivence, reconnaissance de ce qu’elles ont été : des êtres vivants, comme nous, avec leur histoire, leurs forces et leurs faiblesses. Si ces momies défient le temps, elles nous renvoient aussi à notre propre finitude. Le travail de Sophie Zénon vient avec son objectif laisser le temps au temps, le temps de les saisir et de les faire revivre, et de nous rappeler que vie et mort sont étrangement liés.

Rendez-vous sur son site pour suivre son travail et découvrir les expositions en cours (actuellement l’artiste participe à la nouvelle exposition du Musée de la poste à Paris sur les ex-voto) http://www.sophiezenon.com/

 

Béatrice Gernot

 

 

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