En conscience de cette vie et de cette mort qui nous relient
Par Béatrice Gernot
La mort, attachée à notre vie, à l’idée même de la vie, nous fait bien souvent redouter les derniers instants, comme si le dernier souffle rendu nous faisait basculer dans le vide, l’oubli, comme si la mort agissait comme fracture irréparable. Comme si plus rien n’avait eu lieu, n’aurait lieu. Comme si cette vie à laquelle nous étions liés ne pouvait se poursuivre encore et encore parce que le corps avait cessé d’être en mouvement.
Et pourtant, l’aborder comme un cycle inéluctable faisant partie intégrante de notre vie, comme un passage vers un ailleurs connecté à notre vie est une façon de la dévisager et de l’envisager autrement, une manière apaisée d’oser voir la mort en face et d’aider nos proches à la vivre.
Accompagner la vie jusqu’à la mort, jusqu’au point de non retour, peut, en effet, être vécu comme un moment privilégié, un moment d’acceptation, voire même de réconciliation entre le mourant et ses proches.
Ces instants qui réconcilient souvent notre fragilité et notre humanité, n’excluent nullement la douleur de la perte mais permettent d’être en présence de l’Autre, de ses mots, de ses silences jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle. Moments intenses qui aident chacun à trouver sa place et à cheminer.
Dans « Derniers instants », un reportage radiophonique d’Elise Andrieu, Leda, nous dit la douceur des dernières heures passées auprès d’Olivier, l’homme de sa vie, âgé de 50 ans, atteint d’un cancer à qui elle prend le temps de redire son amour, de cet amour plus fort qui – elle le lui dit – continuera d’exister au-delà de la mort, de son acceptation à le laisser partir. Oui, le laisser partir. Avec quelques mots d’une simplicité désarmante, elle le rasure, et ouvre la brèche sur ce qui, pour beaucoup, est de l’ordre de l’inacceptable : « Je ne te retiens plus, tu peux partir ». Une autorisation d’une humanité sans pareil qui place l’amour bien au-delà du corps limité à son enveloppe charnelle. Une phrase qui autorise Olivier qui souffre tant à lâcher prise et qui permet à Leda, apaisée, de vivre ces derniers instants de vie en en vérité avec Olivier. « Tout devenait simple…Aucun enjeu, aucun masque », juste deux êtres qui s’aiment en communion d’Etre, de silences, dans un respect mutuel d’une grande intensité.
Présence rassurante, Leda apaise Olivier – à qui elle a promis d’être là au moment de sa mort – quand elle s’absente quelques courts instants, et « le prend dans ses bras, sa tête dans son cou et sent peu à peu ses sanglots qui s’apaisent, et puis, son souffle, son dernier souffle. C’était très doux, dit-elle comme une plume qui s’envole. Et il est parti ».
Cette douceur Leda la sentit longtemps sur sa peau, et si elle souffrait physiquement de ce départ dans les premiers temps du deuil, « elle gardait un endroit très doux dans le cou. Un tatouage invisible et léger comme tout ».
Ce témoignage d’une grande force et plénitude, nous dit l’importance d’être, quand on le peut, en présence de l’autre pour cheminer ensemble vers l’inéluctable, en conscience de cette vie, de ces instants de vie qui nous relient encore et nous entraînent bien au-delà de la mort. Dans une éternité de partage qui apaise et nous ouvre de nouveaux possibles.
Béatrice Gernot
Les pieds sur terre / France Culture 3 avril 2015
Photo de Jean-Louis Courtinat
http://www.jeanlouiscourtinat.fr/
Jean-Louis Courtinat réalise depuis 3 ans un reportage en collaboration avec les petits frères des Pauvres auprès de personnes ayant vécu très longtemps dans la rue et relogées par cette association.