Par Béatrice Gernot

« La mort emplit l’espace. La vie se fait précieuse et intense comme une offrande. »

Mourir, oui mais pas sans avoir accompli ce qu’il peut au moins sauver.
Le Roi Tsongor accepte de mourir, et même de se donner la mort, car il ne peut choisir… et pressent l’irréparable : la dislocation, l’anéantissement de son royaume qu’il avait mis toute une vie à construire. Le pouvoir, la conquête, le sang, les larmes…tant de souffrances conduiraient-elles au néant ?

Lui qui n’a eu de cesse de partir à la conquête de nouvelles terres pour oublier l’empire de son père. Lui, le conquérant, le guerrier, le fin tacticien voit déjà l’horreur assiéger Massala. Il sait que la lutte qui va éclater entre les deux prétendants à la main de sa fille sera sans merci. D’instinct, il sait aussi que la vie ne doit pas s’effacer devant la mort. Aussi, demande-t-il à son cadet de partir loin, très loin pour accomplir ce qui doit être accompli avant son ultime voyage : lui édifier 7 tombeaux qui représenteront ce qu’il a été, et en choisir un où il reposera pour l’éternité.

C’est donc au pas lent d’une mule, en habit de deuil que Souba quitte Massala. Un parcours initiatique, quasi spirituel alors que la rage et la folie meutrière n’en finissent pas de s’abattre sur Massala. Dépossédé de tout, devenu humble parmi les humbles, Souba ne cesse d’avancer et semble s’effacer dans le silence et l’indifférence du monde « heureux de n’avoir rien d’autre à faire que de contempler le monde et se laisser envahir par la lumière ». Car Souba n’a nul trésor à protéger, nulle terre à conquérir, il doit juste, comme son père le lui a demandé, avancer loin de tout, et lui construire 7 tombeaux. Un magnifique prétexte à sauver le temps et à se sauver lui-même.

Juste la vie plutôt que l’épouvante des combats et des vengeances carnassières. Juste la vie pour sauver ce qui peut être encore sauvé et donner le droit à son père mort de se présenter aux dieux d’en bas. Juste la mémoire d’un homme et de ce que fut le roi pour permettre à Souba d’accomplir ce qui doit être accompli.

Un roman où la mort emplit l’espace mais où la vie se fait précieuse et intense comme une offrande.

Béatrice Gernot

La mort du roi Tsongor de laurent Gaudé.
Publié le 20 août 2002 aux éditions Actes Sud et éditions Babel.
Prix Goncourt des lycéens en 2002.
Prix des libraires en 2003.

Laurent Gaudé