L’évolution des rites funéraires
Je retranscris ici un article très intéressant de Julien Fournier pour le Nouvel Economiste sur les rites en France !
Etant donné que nous travaillons nous -même sur ce thème, nous trouvons ce texte assez juste et pertinent quant à la situation actuelle. Notre dernier café de la mort nous confirme le besoin d’un lieu où l’on peut parler de la mort sans contrainte psychologiques et spirituelles … et surtout l’urgence de recréer de nouveaux rites !
La ritualisation bricolée
Comment a évolué la place du rite funéraire en France ? Pour Damien Le Guay, vice-président du Comité national d’éthique du funéraire, la réponse comporte trois axes : un appauvrissement des rites funéraires ; la montée en puissance d’un bricolage rituel ; le recours de plus en plus répandu à la crémation. Tous trois sont liés. “Auparavant, la prise en charge du rituel était religieuse, explique-t-il. Si elle existe encore en grande partie (85 % des morts ont d’une manière ou d’une autre un accompagnement religieux), cette prise en charge a vu sa prégnance s’estomper progressivement au profit d’une absence de rite.” En lien avec la baisse de la religiosité, les rites funéraires en France se sont, au fil du temps, appauvris ; ils ont perdu de leur force et de leur sens. Dans le même temps, le développement d’un “bricolage rituel” est venu les remplacer.
“C’est ce que l’on appelle la ‘ritualité’ : la mise en place de quelque chose où chacun essaie de créer un rituel ‘à sa sauce’, pour remplir les fonctions autrefois assurées par le rite religieux, sans toujours y parvenir”, explique Damien Le Guay. C’est, par exemple, le remplacement de musiques sacrées par des chansons qu’appréciait le défunt. Enfin, troisième évolution majeure : la montée en puissance extrêmement rapide de la crémation. Selon la Société des Crématoriums de France, il y a 20 ans, une famille sur 100 choisissait la crémation. Aujourd’hui, c’est une famille sur 3. Environ 170 000 crémations sont effectuées chaque année (soit 30 % des décès, contre seulement 20 % en 2001). Selon un sondage Ifop réalisé en 2012, un Français sur deux souhaiterait être incinéré.
Ce changement des pratiques s’est accompagné d’un désarroi, d’une incompréhension vis-à-vis du rite, lié à une incapacité à mettre en place une réelle ritualité, notamment lors de la crémation.
Une étude menée en 2012 par le CPFM (Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie) et la CSNAF (Chambre syndicale nationale de l’art funéraire) montrait ainsi que cette pratique génère des vécus difficiles : une rupture jugée abrupte, et les crématoriums des lieux trop froids et sans profondeur culturelle. Face à ces nouveaux rites moins encadrés, plus libres et personnalisables, les personnes endeuillées sont comme égarées. “Très souvent, les gens manquent de repères, constate Franck Ferré, directeur de l’activité contrôlée du groupe Roc-Eclerc. Ils sont souvent submergés par le doute et viennent nous voir en nous disant ce qu’ils ne veulent pas. En revanche, ils n’ont pas d’idée bien précise sur l’hommage qu’ils souhaitent rendre à leur défunt. Il nous appartient alors de les aider à bâtir une cérémonie où chacun trouve sa place tout en gardant présent à l’esprit que nous ne pouvons pas décider à leur place.”
Dans ces circonstances, le travail de deuil est plus complexe. Nous sommes sortis de la sphère d’une grammaire religieuse qui s’impose à tous pour entrer dans une sphère de prise en compte d’une subjectivité, d’une personnalisation. Une évolution regrettable selon Damien Le Guay, car en perdant son cadre cérémonial et religieux, le rite perd de son efficacité. “On considère que chacun devient l’auto-gestionnaire de son chagrin et de sa ritualité funéraire. C’est ce qui pose problème, puisque pour bien fonctionner, celle-ci implique une part extérieure aux individus, explique le vice-président du Comité national d’éthique du funéraire. Une part du cadre collectif de la cérémonie s’est perdu. Et ce n’est pas anodin, car aujourd’hui une dépression sur deux est liée à un deuil mal fait.”
Par Julien Fournier pour Le nouvel Economiste