« La dame aux camélias » d’Alexandre Dumas Fils
Absent à la mort de sa bien-aimée, Marguerite, Armand Duval l’a fit déterrer, pour la revoir une dernière fois…
« Quand nous arrivâmes à la tombe, le jardinier avait retiré tous les pots de fleurs, le treillage de fer avait été enlevé, et deux hommes piochaient la terre. Armand s’appuya contre un arbre et regarda. Toute sa vie semblait être passée dans ses yeux.
Tout à coup une des deux pioches grinça contre une pierre. A ce bruit Armand recula comme à une commotion électrique et me serra la main avec une telle force qu’il me fit mal.
Le fossoyeur prit une large pelle et vida peu à peu la fosse ; puis, quand il n’y eut plus que les pierres dont on couvre la bière, il les jeta dehors une à une. J’observais Armand, car je craignais à chaque minute que ses sensations qu’il concentrait visiblement ne le brisassent ; mais il regardait toujours ; les yeux fixes et ouverts comme dans la folie et un léger tremblement des joues et des lèvres prouvait seul qu’il était en proie à une violente crise nerveuse.
Quant à moi, je ne puis dire qu’une chose, c’est que je regrettais d’être venu.
Quand la bière fut tout à fait découverte, le commissaire dit aux fossoyeurs : Ouvrez.
Ces hommes obéirent, comme si c’eût été la chose du monde la plus simple.
La bière était en chêne, et ils se mirent à dévisser la paroi supérieure qui faisait couvercle. L’humidité de la terre avait rouillé les vis et ce ne fut pas sans efforts que la bière s’ouvrit. Une odeur infecte s’en exhala, malgré les plantes aromatiques dont elle était semée.
O mon Dieu ! Mon Dieu ! murmura Armand, et il pâlit encore. Les fossoyeurs eux-mêmes reculèrent.
Un grand linceul blanc couvrait le cadavre dont il dessinait les sinuosités. Ce linceul était presque complètement mangé à l’un des bouts, et laissait passer un pied de la morte. J’étais bien près de me trouver mal, et à l’heure où j’écris ces lignes, le souvenir de cette scène m’apparaît encore dans son imposante réalité.
Hâtons-nous, dit le commissaire.
Alors un des deux hommes étendit la main, se mit à découdre le linceul, et le prenant par le bout, découvrit brusquement le visage de Marguerite. C’était terrible à voir, c’est horrible à raconter.
Les yeux ne faisaient plus que deux trous, les lèvres avaient disparus, et les dents blanches étaient serrées les unes contre les autres. Les longs cheveux noirs et secs étaient collés sur les tempes et voilaient un peu les cavités vertes des joues et cependant je reconnaissais dans ce visage, le visage blanc, rose et joyeux que j’avais vu si souvent.
Armand, sans pouvoir détourner son regard de cette figure, avait porté son mouchoir à sa bouche et le mordait.
Pour moi, il me sembla qu’un cercle de fer m’étreignait la tête, un voile couvrit mes yeux, des bourdonnements m’emplirent les oreilles, et tout ce que je pus faire fut d’ouvrir un flacon que j’avais apporté à tout hasard et de respirer fortement les sels qu’il enfermait.
Au milieu de cet éblouissement, j’entendis le commissaire dire à Mr. Duval : « Reconnaissez-vous ? »
– « Oui, murmura le jeune homme. »
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DUMAS Alexandre, dit Dumas Fils (1824-1895)
Romancier, auteur dramatique français. Enfant illégitime d’Alexandre Dumas père.
Un des fondateurs de la pièce à thèse, c’est-à-dire d’un drame bourgeois réaliste, son premier succès fut un roman « La Dame aux camélias », adapté pour la scène en 1852.
Le succès de cette pièce tient à la fusion entre un romantisme passionnel lyrique et l’observation déjà réaliste des modes de vie et des problèmes de la société contemporaine.
L’héroïne, Marguerite Gauthier, quittant sa vie de demi-mondaine entretenue, pour vivre un amour difficile et pathétique, qui se clôt sur une mort soudaine, acquiert, d’emblée une force d’émotion dramatique supérieure à celle de nombre d’héroïnes romantiques, qu’elle éclipsa.
(Encyclopedia Universalis. E.U.)
Marguerite Gauthier n’est autre que MARIE DUPLESSIS, inspiratrice de cette comédie de mœurs.
Née en 1824 à Nonan-le-Pin, elle meurt de tuberculose, à 23 ans, à Paris.
« Elle fut célèbre pour sa réputation de discrétion, d’intelligence et d’amoureuse pleine d’esprit….Elle fut (notamment…) la maîtresse d’Alexandre Dumas Fils et celle de Frantz Liszt, qui a affirmé plus tard, lui avoir offert de vivre avec elle. (Wikipédia). »
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Jules Janin (1804-1874), écrivain et critique dramatique français, auteur de la préface de LA DAME AUX CAMELIAS, y décrit Marie Duplessis, qu’il côtoya, en ces termes :
« Il y avait en l’an de grâce 1845, dans ces années d’abondance et de paix où toutes les faveurs de l’esprit, du talent, de la beauté et de la fortune entouraient cette France d’un jour, une jeune et belle personne de la figure la plus charmante, qui attirait à elle, par sa seule présence, une certaine admiration mêlée de déférence pour quiconque, la voyant pour la première fois, ne savait ni le nom, ni la profession de cette femme. Elle avait en effet, et de la façon la plus naturelle, le regard ingénu, le geste décevant, la démarche hardie et décente tout ensemble, d’une femme du plus grand monde. Son visage sérieux, son sourire était imposant, et rien qu’à la voir marcher, on pouvait dire ce que disait un jour Elleviou, (1769-1842 – chanteur, comédien, librettiste) d’une femme de la cour : Evidemment, voici une fille ou une duchesse…
Hélas, ce n’était pas une duchesse, elle était née au bas de l’échelle difficile, et il avait fallu qu’elle fût en effet belle et charmante pour avoir remonté d’un pied si léger les premiers échelons…. »
Les appréciations à son égard ne s’arrêtent pas là. L’Histoire a ses détracteurs….Certains se bornent à relater des faits, à les étaler ; d’autres à aller au-delà…, jusqu’au cœur !
« Cette jeune personne méritait-elle bien que la fiction en fasse une icône culturelle qui sacrifie son confort matériel et son amant adoré à l’honneur d’une famille » s’interroge Caroline Weber.
« Entre la misère honorable et le bonheur dans le déshonneur, celle-ci avait en effet choisi la seconde option… »
Caroline Weber, biographe américaine de Marie Duplessis (New York Times).
Jean-Louis de Montesquiou raconte dans BoOks, que la si délicate muse d’Alexandre Dumas, était une courtisane avide, croquant financièrement ses amants, les uns après les autres…
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Quoiqu’il en soit, tous les éléments étaient mis en place pour en faire une icône.
MARCEL PROUST s’en inspira pour son personnage de courtisane, Odette de Crécy. (LA RECHERCHE).
Et GIUSEPPE VERDI, (1813-1901) « l’homme qui semait des notes », dont le bicentenaire est fêté encore actuellement, créa en 1853, LA TRAVIATA, opéra en trois actes. Marie y portera le nom de VIOLETTA.
La Scala de Milan ouvre sa saison 2013/2014 avec LA TRAVIATA, ainsi que l’Opéra de Paris.
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« LORSQUE JE PENSE A LA PAUVRE MARIE DUPLESSIS, LA CORDE MYSTERIEUSE D’UNE ELEGIE ANTIQUE, RESONNE DANS MON CŒUR »
Franz Liszt.
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Elle repose au cimetière de Montmartre. Immortalisée, elle continuera pendant des décennies à susciter des passions, de la compassion, des controverses, mais surtout à faire couler des larmes.
Sources :