Soins palliatifs ou comment gérer la mort au quotidien

Olivier C. était graphiste. Diplômé d’une école d’art, vie de couple, deux enfants, Olivier semblait avoir une vie plus qu’enviable. Mais un jour, Olivier a tout arrêté pour se lancer dans une carrière d’infirmier. A 34 ans, le voilà de nouveau sur les bancs de l’école, reprenant des études, apprenant en stage pour finalement se retrouver « passionné » par son travail en soins palliatifs. Etre au plus près d’hommes et de femmes arrivant en fin de vies, voilà ce qu’il voulait vraiment faire de sa vie professionnelle.

Et nous avons eu la chance de le rencontrer, et de vous retranscrire cette interview !

Bonjour Olivier, tout d’abord, en quoi consiste votre profession ?

Je suis infirmier dans un service de soins palliatifs. Nous sommes douze infirmiers. Quatre hommes et huit femmes. Notre rôle auprès de nos patients est de les accompagner en fin de vies, attentif à leur confort. Nous leur apportons des soins, du réconfort. Nous discutons avec eux, nous les rassurons. Les matinées sont consacrées aux soins mais une large partie des après-midis est uniquement consacrée au dialogue et à l’écoute auprès de nos patients.

Je m’entends très bien avec mes collègues, nous sommes assez liés, tous. Par exemple, tous les dimanches, on fait un petit repas entre nous. Nous rions souvent et dédramatisons. 

Nous sommes vivants et là pour eux.

On ne peut pas arrêter ça lorsqu’y a un décès, puisque c’est notre quotidien. Parfois, les familles nous voient. Ils nous comprennent.

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Nous aimerions avoir votre avis, sincèrement, est ce que ce n’est pas trop difficile de travailler avec la « mort » au quotidien ?

 Nous avons en moyenne, un décès tous les deux jours, c’est très fluctuant.Mais sur l’année, la moyenne, c’est ça. On n’a pas de tristesse en soi, on est préparés.

Même si certains patients te touchent plus que d’autres, s’ils ont ton âge, des enfants du même âge que les tiens ?

La durée de séjour dans notre service est d’environs trois semaines. Trois mois, c’est le séjour le plus long d’un patient que nous avons eu. Mais malgré la durée, on ne peut pas s’attacher, c’est un lien particulier.

Nous avons aussi des psychologues à notre écoute. Et on n’hésite pas à parler entre nous, entre collègues. Il y a une bonne ambiance entre nous, nous n’avons jamais eu de départ « j’en peux plus » d’un de nos collègues.

Nous discutons beaucoup entre nous ; notamment sur l’euthanasie, on s’interroge sur les réelles motivations du patient, être sûr qu’il ne subit pas de pression, qu’il sait ce qu’il fait. C’est mon rôle aussi de discuter avec mes patients, d’être sûr de leurs choix, de leurs volontés.

La mort fait partie de mon quotidien.
Mais je ne trouve pas ou plus cela triste.

Dialogue spirituel, sur la mort, sur l’au-delà, au-delà du dialogue médical ?

Les infirmiers, oui. L’après-midi est consacré à beaucoup de dialogue, il y a très peu de soins donc c’est beaucoup de discussions sur leurs vies, mes patients me posent des questions, nous parlons de leurs vies.

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Comment vos patients appréhendent ils leur mort ou leur finitude la plupart du temps ?

 Bien sûr cela dépend des gens. Mais en général, ces gens ont envie de laisser quelque chose derrière eux. C’est souvent oral, on parle de leurs vies, du travail qu’il faisait? Ils ont souvent envie de laisser un objet, quelque chose qui leur tenait à c?ur. Mais on arrive à des nouvelles générations qui manipulent Internet (même chez les gens déjà âgés), il y en a qui viennent avec leur ordinateur et réclament des connexions. Ces derniers veulent continuer de communiquer avec le monde extérieur.

Tu ne peux pas mentir aux patients.
On répond à leurs questions avec honnêteté.

Est-ce que je vais mourir ? Oui.
Quand ? Je ne sais pas.

 Mais il faut être déjà dans l’acceptation.


Y a-t-il des rituels ou des habitudes lorsqu’il y a un décès dans votre service ?

Quand un patient décède nous avons mis en place un rituel qui nous permet de prévenir les autres soignants discrètement :

Près de chaque porte des patients, il y a toujours une belle photo de paysage. Quand nous constatons le décès, nous remplaçons cette image par une image « zen » de galets empilés, nous allumons une bougie dans la salle de soins, nous prenons le temps de préparer le patient, de l’habiller, d’amener des fleurs dans sa chambre, et nous tamisons les lumières pour créer un espace de recueillement.

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Une fois que la personne est décédée, on ne vide pas sa chambre tout de suite. C’est le seul service de l’hôpital où nous pouvons « garder » la personne décédée 6 heures.

La famille a fréquemment des questions à nous poser, elle peut venir les voir dans « leur » chambre ici, et non à « la morgue ».

C’est l’endroit où ils ont passé leurs dernieres semaines, leurs derniers jours.

Personnellement, je continue de lui parler. L’ouïe est le dernier sens qui fonctionne jusqu’au bout. Jusqu’à la dernière seconde, et même après leur décès. Quand je fais les soins, je continue de leur expliquer ce que je fais, de communiquer avec eux.

 Le soin palliatif est un service atypique, mourir à l’hôpital c’est un échec, tandis que mourir en soins palliatifs, c’est normal. C’est quotidien.

On ne force pas les étudiants à assister aux décès des patients. On leur propose de venir et d’assister.


De manière générale, quels âges ont la plupart de vos patients ? Communiquent-ils entre eux ?

Depuis 2 ans que je travaille ici, la plus jeune qu’on ait eu avait 19 ans et cela va jusqu’à très vieux. La plupart ont cependant plus d’une trentaine d’années, la moyenne d’âge c’est plutôt 70 ou 80 ans. Le rapport à la mort n’est pas le même avec les jeunes, il est fondamentalement différent. Les jeunes ne sont jamais prêts. Ils n’acceptent pas car ce n’est pas normal. A 20 ans, on a rien vécu.

Mais en dessous de 30 ans, c’est extrêmement rare. J’en ai vu deux en deux ans.

Les portes sont toujours ouvertes. Les familles voient les autres patients. Mais il y a peu de liens entre les patients. Ce sont plutôt les familles entre elles qui se soutiennent parfois.


 Quelles sont les diverses façons de réagir de vos patients ?

Est-il facile de communiquer avec vos patients ?

Ont-ils envie ou besoin de se confronter à l’idée de la mort ?

Ou partagez-vous d’autres moments avec eux, sur d’autres thèmes ?  

Parfois c’est une réaction violente, tu dois faire le deuil. Faire le deuil de ne plus marcher, faire le deuil ce que tu perds. Lorsque tu sais que tu vas mourir, tu dois faire le deuil de tout ce que tu vas perdre. Tu passes par certaines étapes : la colère, le déni, le chantage, la tristesse puis (parfois mais pas toujours selon les cas) l’acceptation.

 Prendre conscience que l’on va mourir, et ensuite accepter.
Pour le patient ET pour la famille.

Par exemple, certaines familles voulaient donner à manger au patient malade. En faisant ça, elles ont l’impression de les maintenir en vie, de notre point de vue, elles leur font du mal car le corps ne suit plus (estomac, digestion?). Et c’est à ce moment là, que les familles réalisent la « fin de vie ». Parfois les agonies sont tellement longues, qu’on oublie qu’ils vont mourir.

 Voici deux histoires qui me sont arrivées et qui m’ont touchées:

 Une patiente attendait le jour du mariage de son fils. Elle voulait y aller. Elle y est allée en chaise roulante. On est assez ouverts. S’il arrive quelque chose à ce moment, c’est que ça devait se passer. Elle est restée tout l’après-midi, ses enfants nous ont dit qu’elle n’avait jamais autant mangé que ce jour là, elle a pris plaisir. Elle est rentrée puis elle est tombée dans le coma et décédée quelques jours après. Elle ne voulait pas mourir avant ce mariage. Et ensuite elle s’est laissé partir.

Quand je pars en congés, je prends le temps d’aller discuter avec mes patients, et je sais que je ne les reverrais peut-être pas. J’ai donc salué et discuté avec cette patiente, au moment de mon part elle m’a gratifié de son plus beau sourire. Je suis revenu de congés le jour de son décès. J’étais conscient qu’elle allait partir, mais je m’attendais à la voir ce matin, et elle n’était plus là. Elle est restée quelques heures dans notre service après son décès, et après un moment son visage a repris le dernier sourire qu’elle m’a fait quand je suis parti en vacances. Elle nous a fait ce cadeau, c’était vraiment un sourire, bouche ouverte avec les dents ! Ce sont des cadeaux qu’ils nous offrent encore, même mort.

C’est aussi pour ça que je continue de leur parler, même une fois mort. Attention, ce n’est pas du tout médical. Mes petits rituels à moi, dont celui-ci me rassure, me redonne du courage. Tu te rends compte que c’est très personnel. Il n y a jamais deux morts similaires.

 On se pose aussi des questions. Pourquoi certains meurent tranquillement dans leurs lits, et pourquoi d’autres meurent après 10 ans de souffrance de maladies ? On essaye avec eux aussi de donner un sens, à leur vie, à leur mort. Notre coté moderne fait ça aussi, on veut trouver des réponses à tout.

L’expérience de la lumière qui apparait à la mort.

Si dans un accident, tu perds ta jambe, tu n’auras pas mal, sur le moment. Ou si la douleur est trop forte, tu fais une syncope car ton corps déconnecte. C’est bien la preuve de la force du corps.

Parmi ceux qui reviennent de long coma, certains parlent d’avoir été au dessus de leurs propres corps, d’avoir vu les médecins près d’eux et d’avoir entendu ce qu’ils disaient. Les scientifiques n’ont pas de réponses claire là-dessus, hormis sur cette lumière blanche (plausible) et sur l’ouïe qui reste développé assez longtemps après la mort.

Il y en a en méditation qui arrive à sortir de leurs corps, à faire des voyages. Alors peut-être après la mort, notre corps se dissout en énergie ? Et se mélange aux autres énergies ?

Nous avons aussi besoin d’être rassurés. Globalement, nous sommes très joyeux et nous prévenons les étudiants et toutes les personnes extérieures au service (dans le secteur médical). Nous rions beaucoup, même avec les patients. Et entre nous, nous avons parfois un humour assez noir, c’est une sorte d’exutoire pour nous. Mais on prévient car cela peut choquer. Au boulot, on note même les « perles ».

Les patients rient aussi parfois, certains ont beaucoup d’humour. Ils jouent avec les mots. Une patiente est sourde comme un pot, dès qu’elle enlève ses appareils auditifs, on hurle un « plus rien à dire avant qu’on enlève les oreilles » ? Et parfois elle répond des phrases marrantes du style : « non, juste rien, chantez moi juste un ptite chanson d’amour ».

 Une autre anecdote, comme je suis très grand, je monte les lits pour les toilettes. Et un soir, je descendais le lit d’une patiente qui m’a dit « Tiens, vous montez ?! » Ce sont des moments très chouettes entre nous. Et il nous arrive souvent de rire, c’est vrai. Les familles sont souvent étonnées : « Il y a beaucoup de vie chez vous ! ». Effectivement, on met de la musique, certains animaux viennent parfois les voir (même si ce n’est pas vraiment autorisé?).


 Plus personnellement, que pensez-vous du rapport que l’on entretient avec la mort, le passage sur terre dans nos sociétés actuelles ? (tabou, fuite, ?)

Aujourd’hui la vieillesse n’existe plus. Il suffit d’allumer sa télé pour le constater. On ne parle que de crèmes, de lifting; aujourd’hui vieillir, c’est mourir. Et pourtant, on augmente toujours plus l’espérance de vie. Grâces à la recherche et à la médecine actuelle, on vit beaucoup plus longtemps, on est donc « vieux » plus longtemps? Aujourd’hui, la vieillesse n’a plus de raison d’être, on ne voit que des publicités pour lutter contre cela. Et c’est dommage.

Aujourd’hui, j’ai conscience de ma finitude. Je ne veux pas mourir demain, mais j’ai conscience que cela arrivera, et je n’en ai pas peur. Je veux seulement être prêt.


Ce « nouveau » métier semble vous plaire, vous pensez l’exercez toute votre vie ?

 Oui j’aimerais continuer de faire ce métier, quotidiennement. J’aimerais plus tard faire du soin à domicile. Beaucoup de gens veulent mourir chez eux, c’est encore un autre univers. Ici, les patients viennent chez « nous ». Dans le service à domicile, c’est nous qui allons chez « eux ».

Aujourd’hui, cela fait peur de mourir chez soi, en laissant tes enfants et ta femme dans cette même maison. Dans notre société, c’est de plus en plus difficile. Et c’est lié au lieu, dans des maisons neuves, on a l’impression qu’il ne faut pas mettre ces énergies ». Et les gens n’ont pas envie de voir la mort. En plus, aujourd’hui l’espérance de vie est de plus en plus importante. Il y a donc aussi de plus en plus de maladies.


Connaissez-vous notre fondation ? Après présentation, qu’en pensez-vous ?

Oui je connais, je suis déjà inscrit sur le site ! Internet, c’est un média qui rentre dans nos vies. Tout le monde l’utilise. On laisse des traces, comme un journal de bord.

 Moi, ce qui m’attire dans le site, c’est que si dans 6 mois j’ai un accident de voiture ou n’importe quoi d’autres, je peux laisser quelque chose pour mes enfants. Mes enfants sont très jeunes. J’aimerais leur laisser des messages, je fantasme sur ce qu’ils deviendront. Et je veux leur dire, si ça ne va pas, voilà je t’aurais dit ça. Sa première copine, sa première voiture? le plaisir que j’aurais avec lui. Je veux le préparer au cas où je ne sois pas présent à ce moment-là.

 Je veux préparer ces messages pour eux, au cas où. Depuis peu, je n’ai plus peur de mourir. Je ne sais pas très bien pourquoi, et je ne sais pas comment je réagirais si j’avais un cancer ou une maladie incurable. Mais ce qui me gêne, ce sont les choses que je ne pourrais pas vivre, notamment avec mes enfants, des étapes de leurs vies. Et je veux préparer des messages pour ces moments. Je veux leur laisser ça. D’ailleurs, je suis déjà abonné à votre site !

Pour mes enfants, internet est le meilleur moyen de communication. Il a sa place partout, pour tout le monde. J’en ai conscience. 


  Pensez-vous que cette plate-forme Internet peut intéresser vos patients ? Etre utile ? Plus personnellement, seriez-vous prêt à écrire votre propre album de vie ?

Parler des Albums de Vie  dans mon service, c’est très difficile. Au niveau de la déontologie c’est très difficile car une partie du service est payant. De plus, je pense que depuis deux ans, je ne vois pas de patients à qui j’aurais pu recommander le site. Un exemple, une dame voulait construire une boite à souvenirs qu’elle voulait laisser pour son petit-fils. Elle veut vraiment le faire. Elle n’arrive pas à la commencer. Le faire, c’est accepter sa mort. Elle n’a pas passé ce cap de l’acceptation. Pourtant, elle en a le désir.

Ce que j’aime dans le concept du site, c’est qu’il est vivant.
On a envie de faire son album de vie lorsque l’on est encore bien vivant. 

Quand tu es malade et que tu sais que tu vas mourir, alors c’est vraiment génial de le faire mais cela me semble difficile.


 Le projet des Albums de vie vous semble t’il légitime auprès de vos patients ?

Légitime et utile, oui. Mais difficile. A ce stade de la maladie, faire son album de vie, c’est réellement accepter que la mort soit vraiment proche. Pourtant, beaucoup ont envie de laisser une trace, laisser des messages, des objets? mais n’y arrivent pas. A terme, cela pourrait sûrement trouver sa place, oui, je pense que oui.