Chers amis,

J’ai lu, il y longtemps, « Nouvelles Histoires Extraordinaires » d’Edgar Allan Poe. J’ai prêté ce livre, on ne me l’a jamais rendu. Normal, me direz-vous. J’ai gardé un souvenir particulier d’une de ces nouvelles dont je me rappelle uniquement la trame, le squelette si vous préférez….  La Mort signale à  un vieil homme que sa dernière heure est arrivée. Il ne veut pas mourir et comme c’est la période du Carnaval, il se déguise en jeune homme pour échapper à la mort. 

Ce squelette, je l’ai habillé pour vous, j’espère qu’il  vous plaira.

Un mot concernant Edgar Allan Poe : écrivain américain (Boston 1809-1849), surtout connu pour ces nouvelles fantastiques au goût morbide. Personnage multiple à la vive intelligence, écrivain romantique et décadent, poète, philosophe, journaliste, redoutable  critique, et alcoolique, les études biographiques et psychanalytiques faites à son sujet, sont très controversées. Elles hésitent entre la folie et le génie. 

Traduit par Baudelaire, apprécié les surréalistes, par Mallarmé, Valéry etc…Poe a fortement influencé la littérature européenne.

Attention, je commence :

CHERET CARNAVALOscar et Henri jouent  aux échecs, un verre d’excellent cognac sous la main. De force égale, ils se disputent, comme à chaque fois, amicalement la victoire. Il est presque minuit. La partie  terminée, Oscar souhaite la bonne nuit à son ami et regagne son domicile, à quelques rues de là. Quelle soirée !

Henri chausse ses pantoufles et s’installe dans son fauteuil, près du feu ouvert. Agréable chaleur que celle du bois. S’y ajoute celle du cognac, il remue ses orteils d’aise.

Sa chatte Pamplemousse, siamoise au pelage vison clair et aux saisissants yeux bleus, s’étale dans le fauteuil situé en face de celui de son maître. Elle a attendu qu’Oscar soit parti pour reprendre possession de ses quartiers. Elle n’a pas de pantoufles, mais cela ne l’empêche pas d’étirer les pattes et de sortir ses griffes de plaisir.

Ils échangent un regard de connivence. On est bien tous les deux. Non ?   

La fatigue tombe d’un seul coup sur les épaules d’Henri. Un vertige lui brouille la vue. C’est le troisième cette semaine. Il devrait être couché.

Un courant d’air le  glace. Sa voisine Marthe, qui s’occupe de lui et bassine son lit avant de rentrer chez elle, aurait-elle oublié de fermer correctement la porte de rue. Très consciencieuse, ce serait étonnant.

Soudain, la pièce se couvre d’ombres. Qu’est-ce ? Envahi par la panique, une chair de poule le couvre de la tête aux pieds.

D’une voix mal assurée, il questionne :

– Y a-t-il quelqu’un ?

– Oui, c’est moi !

– Qui, moi ?

– Celle qui ne t’a jamais quitté.

– Qui ça ?

– La Mort.   

Henri, surpris, veut se lever, mais ses jambes se dérobent. Il a sans doute, abusé de viande, de cognac, il a trop ri avec son ami Oscar. Tout cela joue des tours. Il y a aussi ce nouveau médicament. C’est lui la cause. Toutes ces drogues qui soi-disant vous soignent, vous rendent plus sûrement malade.  

Il perçoit un léger froissement. Henri n’ose pas se retourner. Finalement, il demande :

– Que me veux-tu ?

– Tu ne t’en doutes pas ?

– Je ne veux pas le savoir.

– Je viens te chercher.

– Oh ! Non !

– Si ! Tu es vieux, tu as fait ton temps. Et puis, il me faut un vieux pour mon quota et ce sera toi !

– Mais, je ne suis pas vieux, je suis jeune à l’intérieur.

– Ne te plains pas, d’autres partent plus tôt que toi.

– Mais, j’ai encore tant de choses à faire !

– Tant pis ! Il fallait t’y prendre plus tôt.

– Mais, je ne savais pas !

– Nul ne le sait.

– Pitié, dit le vieil homme qui éclate en sanglots.

La Mort, magnanime :

– quel jour sommes-nous ?

– Vendredi.

– Que dis-tu, je ne te comprends pas, parle plus fort.

–  Vendredi ! 

– Bon. Je te laisse jusqu’à dimanche. Je sais que tu comptais fêter le carnaval, je viendrai t’y chercher. 

Ne me fais pas défaut !

Dans un tourbillon d’étoffes, de ferrailles, la Mort disparaît.

Abasourdi, Henri ne veut pas y croire, mais son incomparable parfum, sa signature,  flotte derrière Elle. Il ne peut que constater l’horrible vérité. 

Anéanti, il se traîne jusqu’à son lit, qui encore chaud, ne lui procure aucun réconfort. Il frissonne de tous ses membres.

Toute la nuit, il réfléchit à toutes les possibilités, envisage tous les plans, pour échapper à sa triste situation.

Demain, c’est Carnaval. Il a réservé une place dans un établissement réputé pour la qualité de ses fêtes. Travestis obligatoires. On y mangera, dansera, son ami Oscar sera là.

Comment s’amuser maintenant. Ah ! Tout est bien fini !

Soudain, il a une idée. La Mort cherche un vieil homme, Elle l’a bien dit.

Il se rend dans un magasin « Farces & Déguisements ».

– Que voulez-vous cher Monsieur ?

–  Un déguisement de jeune homme qui fasse authentique. Je suis prêt à payer très cher.  

– De jeune homme ?  Pourquoi pas un costume de Pierrot, de d’Artagnan, de maharajah, que sais-je ? S’il y a un concours, vous ne gagnerez pas !

– Le but n’est pas de gagner le prix du meilleur costume, mais de passer inaperçu !  Ah! Monsieur ! Si vous saviez ! 

Le marchand ne comprend pas les motivations d’Henri et pense « En voilà, un fantaisiste ! »  

–  Bon,jje vais faire de mon mieux.  

Le marchand cherche dans les étagères des invendus. Il récupère plusieurs masques représentant des visages d’hommes jeunes.

Henri, angoissé, considère les masques proposés. les tâte. Enfin, un lui plaît. C’est celui d’un très jeune homme.

Il le porte à son visage.

– Magnifique, dit le marchand. C’est l’illusion totale. Vous ne voudrez plus vous en séparer.

– D’accord, je le prends.

Henri sort du magasin. Il se dépêche, il a hâte d’être seul.

Rentré chez lui, il va droit à sa chambre,  bouscule au passage Marthe, qui se demande ce qui arrive à Henri,  butte dans sa chatte qui va se planquer en dessous du meuble le plus proche.  Il allume tout ce qui éclaire, le lustre, les appliques murales, les deux lampadaires. Il essaie le masque, ose à peine se regarder dans le miroir, peur d’une déception. Il lève enfin les yeux, et c’est l’horreur.

Un homme, aux traits très jeunes, surmontés de quelques touffes de cheveux blancs, apparaît. L’effet est des plus étranges.

« Imbécile », se dit-il.

Henri redescend,  re-bouscule Marthe et ressort.

Il court chez le marchand. Mais ma parole, il court comme un jeune homme. Il ouvre brutalement
la porte du magasin.

– Vite, donnez-moi une  perruque aux cheveux noirs.

– Un instant, svp, je suis occupé avec un client.

– Mille excuses.

Henri cache difficilement son anxiété. C’est enfin son tour.

– Vous m’avez demandé une perruque aux cheveux noirs ?

– C’est bien cela.

Le marchand trouve rapidement ce qu’Henri souhaite.  

Satisfait, la perruque emballée, il paie et arrache presque le paquet des mains du marchand.

Il repart toujours en courant. De la fenêtre de son magasin, le marchand le suit des yeux et se demande ce qui arrive à cet homme, qui se promène tous les jours sur le trottoir d’en face, en marchant d’un pas lent et mesuré.

« En voilà, un drôle ! On dirait que sa vie dépend de son déguisement ! »

De retour chez lui, Marthe absente, il ajuste fébrilement le masque et la perruque devant le premier miroir du salon.

 » Magnifique ! « 

Il se met à gambader comme un fou, puis calmé,  passe le restant du samedi dans les transes les plus pénibles.

Le soir tombe, assis au coin du feu, Henri, distrait, a oublié d’enfiler ses pantoufles. Pamplemousse étendue dans son fauteuil, se demande pourquoi son maître ne lui lance pas l’habituel regard. Inquiète, elle ne ronronne pas. Sa petite machine est enrayée.

Henri décide de monter se coucher. Il est maintenant minuit.

Il a froid. De nouveau ce courant d’air. Il sent la terreur le submerger. C’est Elle !

Toute la journée, les allées et venues d’Henri ont intrigué la Mort. Elle n’a pas confiance. Que mijote-t-il ? Elle vient vérifier. 

Elle se place derrière son fauteuil et dégage son parfum habituel. C’est lui, le premier qui lui adresse la parole.

– Tu es là ?

– Oui.

– Ce n’est pas l’heure.

– C’est une visite pour le plaisir…

Hargneux, Henri lui répond :

– Tu me fais de l’ombre. Tu me caches la lumière.

– C’est pour mieux t’habituer à l’obscurité.

– Et puis, ton odeur..

– Quoi, mon parfum ? Tu ne l’aimes pas ?

– Non !

– Tous les mêmes, dit la Mort vexée.

Henri pleure doucement.

– Tu me sembles très occupé, lui dit-elle ?

– Je dois bien faire des achats pour le Carnaval.

– Je le conçois. Cependant,  je te donne un conseil. Ne galvaude pas le temps qui t’est imparti en vaines excitations. Vous, les humains, vous êtes incurables, au lieu de tuer le temps, vivez-le !

– C’est facile à dire quand on est à ta place.

– OK. je m’en vais. Tu me fatigues.

Puis la Mort se ravise et lui lance :

– Tu n’es pas curieux.

– A quoi bon !

-Tu ne désires pas savoir ce qu’il y a de l’Autre Côté ?

– Je le saurai bien assez tôt.

– Tu es mauvais perdant.

– Mauvais perdant ? Je n’ai pas envie de quitter ceux que j’aime.

– Ceux que tu aimes ? Peu m’importe. Cela n’a aucune importance pour moi.

– Pitié, Madame la Mort !

– Tu es franchement idiot.. Tu ne voudrais tout de même pas être immortel ?

– Si !

– Les bonheurs, les malheurs, les douleurs éternellement  répétés?

– Oh ! Oui !

– Mais  ça, c’est l’Eternité ! 

– Et alors ?

– Alors ? Nous, nous la nommons ENFER !

– L’Enfer !

Henri est stupéfait, et malgré lui, intéressé ;

– Et le Paradis, comment le nommez-vous ?

– On ne le nomme pas. Il n’y en a pas ! 

– !!!!!!!!

– A demain. Prépare-toi !

Et la Mort s’éclipse.    

Henri monte difficilement à sa chambre, tout vacille. Il s’agrippe à la rampe de l’escalier qui bringuebale à un certain endroit. Il a un réflexe de vivant et se  dit qu’il faudrait réparer cette rampe dans les plus brefs délais,que cela pourrait se révéler dangereux….. « Pauvre innocent ! » se dit-il.

Il atteint son lit, se réfugie tout au fond et sanglote toute la nuit.

Le jour pointe. C’est dimanche. C’est Carnaval !  Pauvre Henri !

Il n’a pas dormi. Quoiqu’il en soit, si son stratagème échoue, il pourra dormir tout à loisir.

Il fait sa toilette, se rase, se coupe.Henri resté mince, s’habille d’un simple costume noir. Avec un soin particulier, il attache le masque sur son visage, fixe la perruque, et se contemple. Parfait !

Presque guilleret, il se rend à  la fête. Il croise son ami qui ne le reconnaît pas. Il reprend espoir.

La fête bat déjà son plein, certains privilégient la danse, d’autres préfèrent se restaurer. Un magnifique buffet est dressé et invite à toutes les gourmandises. Henri s’oblige à avoir l’air normal, il remplit son assiette et va s’asseoir  d’un le coin le plus discret. Il entame la première bouchée  qui se coince au fond de sa gorge. Il finit par boire du vin.

Il jette des regards effrayés vers l’entrée. Son angoisse est à son comble. La pire des choses, n’est-elle pas l’attente ?

Soudain,  il se rend compte de sa présence.  Cela ne  dérange manifestement personne, seul Henri la sent.

Lentement, Elle s’approche d’abord des danseurs. Dans tout ce monde qui s’agite, elle ne voit pas Henri. C’est normal, se dit-elle avec un petit rire, il est trop vieux. Sûre d’Elle, Elle se dirige vers la salle à manger. Son regard englobe les dîneurs. Personne ne ressemble à Henri.

Elle tourne autour de la table, une fois, deux fois, trois fois. Elle le frôle. Henri utilise toute sa force pour contrôler ses mouvements. Une angoisse lui serre si fort le coeur, qu’il craint de laisser échapper un cri.

Il y a des personnages de tous âges, de tous grimages. La Mort examine minutieusement chaque convive. Elle commence par le plus âgé, passe aux suivants, s’appesantit sur les détails.

Elle retourne dans la salle où les danseurs gesticulent toujours en transpirant. Revient du côté des dîneurs.

Mais qu’est-ce que cette mascarade ?  se demande la Mort qui commence à s’énerver. Comment le retrouver dans tous  ces déguisements.  Mauvaise idée d’avoir fixé un rendez-vous ici !

Lui, trempé de sueur, tente de se rassurer : « Ne suis-je pas celui qui paraît le plus jeune?   

La Mort continue ses recherches, Elle n’abandonne jamais !

En désespoir de cause, ne sachant pas à qui, ni à quoi se vouer, Henri se dit  » Prions « .

Quelques bredouillis sortent de sa bouche asséchée.

« Hélas, il y a si longtemps que je n’ai plus prié que j’ai oublié les paroles.   Pardon mon Dieu ! Aidez-moi ! »

De son côté, La Mort, qui n’a aucun souci métaphysique, enrage, fulmine. Cette rage enfle, devient terrible. 

 « Ah, Ah, se dit-elle, il m’a roulée, il m’a bien eue !

Elle se sent frustrée. Elle voit rouge, alors pour se venger, elle vise le plus jeune des dîneurs et emporte Henri !  

                                                                            &nbs
p;       §§§§§

J’ai été longue, Carnaval oblige ! Mais pas de panique, la semaine prochaine, ce sera plus court.

Portez-vous bien ! 

Par Vivianne La mort fait partie de la vie

Polaroid-Vivianne-copie-1 Née le 18 janvier d’une maman belge et d’un papa d’origine toscane, je suis passionnée de littérature, de musique, de danse et de voyages. Aînée de 5 filles et  d’un garçon, j’ai eu le sens des responsabilités très jeune. Je n’ai jamais été une enfant. Cela ne m’a jamais manqué.

Responsable de la filiale belge d’un grand fabricant  de plantes français, actuellement je possède une petite société de consultance.

La littérature est devenue ma religion. Elle m’a permis de me rendre compte de l’énorme richesse de l’humanité, que chaque livre renferme l’âme de celui qui l’a écrit et que chaque âme est  différente.

 

« Ceci n’est pas un livre. Celui qui le touche, touche un homme ». (Walt Whitman

Le but de nos acquits, n’est-il pas le partage ?