« Le temps d’un soupir » d’Anne Philipe
Anne Philipe, née le 20 juin 1917 à Bruxelles, décédée à Paris le 16 avril 1990, veuve du célèbre acteur et grand comédien Gérard Philipe, décédé en 1959, a écrit un des plus magnifiques livres ayant pour thème la mort d’un être aimé, vraiment aimé.
« Je me réveille tôt. Il fait encore nuit. Les yeux fermés, je tente de repartir dans le sommeil, mais je ne plonge pas assez profondément. Je reste sur une plage triste et grise, à mi-chemin, entre la réalité et le cauchemar.
Il vaudrait mieux allumer une lampe et lire, éviter les labyrinthes où la pensée s’engage, mais la fatigue me rend passive et je dérive vers des souvenirs lumineux.
Je les aborde parfois et ils m’envahissent au point que, la durée d’un instant, je les confonds avec la réalité. Mais la conscience ne désarme pas, et de souvenir en souvenir, je glisse, en tournant la tête vers l’oreiller que je continue à poser chaque soir à ma droite, à la vision de ton visage mort, penché vers ma place vide, au moment où la vie te quitta.
Je vois tes yeux ouverts, ton visage calme, absent, tes mains aux paumes détendues et qui sur le moment, me donnèrent la preuve qu’aucune souffrance ni aucune angoisse ne t’avait assailli.
Ce jour-là, pendant des heures passées à te contempler, à tenir ta main froide qui se raidissait peu à peu, à caresser ton visage, j’avais senti que tu reposais sur notre lit comme sur un rivage et que j’étais emportée malgré moi, parce que vivante, dans un courant irrésistible.
Tu étais à tout jamais immobile, j’étais pour un temps encore en mouvement. La mort nous séparait pour l’éternité. »
Gerard Philipe interprétant LE CID de Corneille en 1954.
« LE TEMPS D’UN SOUPIR », traduit toute la souffrance de la séparation, de la difficulté de vivre sans l’autre, de la fidélité au delà de la mort. Anne Philipe écrit tout cela en gardant toute sa pudeur et sa noblesse. Pas de sentimentalisme exacerbé, seuls des mots simples et sincères. Pas d’intimité dévoilée et en pleine lucidité, car sans le secours de Dieu, d’un dieu, il ne nous reste que la réalité, celle de la vie.
Il faut dire qu’ANNE PHILIPE, philosophe, romancière, cinéaste, ethnographe, n’était pas n’importe qui. Elle n’eut pas besoin de la célébrité de son mari pour faire son chemin. C’était deux individus doués et intelligents, que la mort a arraché l’un à l’autre. Gerard Philipe avait seulement 37 ans. Il est mort en très peu de temps d’un cancer du foie.
« Après un séjour d’un an en Chine, elle avait entrepris de revenir vers l’Inde, par la route de la Soie et était la première Française à traverser le Sin-Kiang avec une caravane de marchands qui se rendaient au Cachemire« .
De ce voyage exceptionnel, elle écrit « CARAVANES D’ASIE ». (Introduction à « Le Temps d’un Soupir ». )
Femme engagée, auteur de documentaires sur l’Asie et l’Afrique, a publié également des reportages sur Cuba, le Vénézuela.
A écrit notamment, LES RENDEZ-VOUS DE LA COLLINE » « ICI, LA-BAS, AILLEURS » et d’autres encore.
Je ne résiste pas à l’envie de vous proposer encore quelques extraits de ce livre authentique :
« Parfois, j’allais vers la fenêtre, je regardais les maisons, les gens qui passaient, les autos qui se rangeaient et je voyais écrit partout : IL VA MOURIR – et cela seulement.
Je m’étendais au pied du lit, je te souriais, c’était vrai, j’étais heureuse, puisque tu étais là. J’essayais d’isoler cette minute, d’en faire une petite île dans le temps, mais ce n’était rien, rien.
Demain était barré, j’étais encerclée. Toutes mes pensées intelligentes se heurtaient au même mur : impasse, route sans issue. L’issue était là, elle était ce qu’on appelle fatale« .
De leur union, est né deux enfants, Anne transcrit dans son livre un de leurs dialogues :
« Rien n’est plus sérieux que les conversations des enfants. Ils osent poser et résoudre les questions primordiales, ils vont au coeur même des choses.
Nous parlions souvent de la mort avec eux. Je ne savais pas que, très vite, elle les toucherait de si près. « Il est mort, il dort » disaient-ils des sauterelles ou des lézards qu’ils trouvaient parfois autour de la maison. Pas de problème. Mais tout allait changer. »
« Quelques mois plus tard, ils découvraient ce que signifie « JAMAIS PLUS » et celui d’entre eux qui souffrait le plus, parce qu’il en mesurait mieux la signification, me disait en parlant de toi :
– Donne-m’en un autre si celui-là est mort, j’en veux un qui lui ressemble« .
J’essayais d’expliquer, expliquer quoi ? Que l’amour…
– « Mais on ne peut pas aimer un mort, puisqu’on ne le verra plus jamais, me répondait-on. Et où était-il maintenant ? Est-ce qu’il nous voit ?
– Non, je crois qu’il ne nous voit pas. C’est nous qui le voyons dans notre souvenir.
– J’ai ses yeux et sa bouche me disait-on fièrement
– Et moi, j’ai tout ses gestes
– C’est vrai.
– Mais son corps, tu l’as enterré où ?
Je répondais : » sur la colline », je n’arrivais pas à dire cimetière. C’est que je t’aurais voulu sans cercueil, seul au pied d’un de nos arbres, là où nous aimions nous promener. «
Anne Philipe termine son livre sur cette note :
« Le printemps fait mal. Je voudrais lui demander grâce. Chaque année j’espère que je serai prête à le vivre ou que j’aurai oublié son goût. N’ai-je pas avancé d’un pas ? Suis-je comme l’écureuil encagé sur sa roue ? Et aurais-je pu, depuis ta mort me mettre en boule, dans le fond de mon lit, sans que rien ne soit pire ?
La douceur de l’air me fait rêver à ce qui fut et à ce qui serait si tu étais là.
Je sais que cette rêverie n’est qu’une inaptitude à vivre le présent. Je me laisse entraîner par ce courant sans regarder trop loin ou trop profondément.
J’attends le moment où je retrouverai la force. Il viendra. Je sais que la vie me passionne encore. Je veux me sauver, non me délivrer de toi« .
Personnages de lumière, aucun n’est resté dans l’ombre de l’autre. Anne et Gérard Philipe sont enterrés ensemble dans le cimetière de Ramatuelle (Côte d’Azur).
Je souhaite que ces extraits choisis rien que pour vous, vous plairont, et vous donneront l’envie de partir à la recherche de l’univers authentique d’Anne Philipe.
Encore quelques uns de ses écrits : » Spirale – Un été près de la mer – Les Résonnances de l’Amour – Je l’écoute respirer – L’Eclat de la Lumière. (Infos Wikipédia) ».
Que cela ne vous fasse pas oublier que : PUISQU’L NOUS FAUT BIEN MOURIR, IL NOUS FAUT BIEN VIVRE !
PORTEZ-VOUS BIEN !
Par Vivianne – La mort fait partie de la vie.