Un jour d’été, sur la route des vacances, j’entends lire à la radio, un superbe texte. C’est un extrait du « Le Long Eté ». Quelle découverte ! Je n’ai eu de cesse de me procurer ce livre, qui venait, par chance, d’être réédité par les Editions Zoé. Nous étions en 2000, la première édition remontait à 1970.

Ce livre acquit pour moi une importance particulière. C’est le seul que je n’ai jamais prêté. Prête-t-on sa bible ?

Ne l’avais-je pas sur les genoux, au moment de recueillir le dernier soupir de ma Maman. Avant cela, ne l’avais-je pas posé sur la table de chevet dans ma chambre d’hôpital, victime d’un AVC…Livre de tous les dangers.

On l’ouvre et la magie opère. On est happé, obligé d’accompagner Lorenzo, qui nous entraîne dans un dangereux périple, celui de son âme, qui sans rémission, tombe de Charybde en Scylla, n’ayant finalement d’autre repère qu’elle-même.
Voyage propitiatoire. Décidément, devons-nous expier le fait d’être né !

Les grands voyageurs sont de grands rêveurs. Ce chevalier des causes perdues, a sué sang et eau, s’est colleté avec les situations les plus extrêmes, (dont un exemple ci-dessous « La Crevasse »), pour accéder au Graal, ce face à face avec le néant.

« Mais, pour le moment, il ne fait pas encore froid. Je n’ai froid nulle part. La mort serait-elle chaude et affectueuse ? »

Piécette – LA CREVASSE – Extrait 

lorenzo-perstelli-02«  Prisonnier entre deux parois de glace face au vide pendant deux heures…J’ai peur de la mort !Je ne crie pas, je ne me démène pas, j’attends patiemment qu’on me sorte de là. Je suis calme, très calme même, mais je ne suis pas sûr que je vais pouvoir m’en sortir. Il me faut donc tout le calme !En fait, je ne suis pas assez libre pour mourir maintenant ; les autres m’attendent au fond des vallées qui sont au sud et au nord de cette crête des Alpes…Si je crève, je crève sur une crête qui départage les eaux du nord et du sud. Mais mes eaux, les eaux de mon corps fondu dans la glace, où fuiront-elles ?D’ailleurs, il n‘y a aucune chance pour que mon corps puisse fondre ou se décomposer ; il est trop prisonnier pour que la glace, en se déplaçant, risque d’en perdre un morceau.Si je meurs, c’est tout entier que mon corps va rester ; il ne se diluera pas dans le cosmos : tout le contraire d’une crémation !Mais, pour le moment, il ne fait pas encore froid. Je n’ai froid nulle part. La mort serait-elle chaude et affectueuse ?

Glacier de la Ventina, col du Théodule, le 11 février 1968.

Nicolas Bouvier, ami de Lorenzo Pestelli, commence la préface de « Le Long Été » en ces termes : « On se débarrasse à bon compte des voyageurs et du voyage en alléguant que presque tous les départs sont des fuites. Peut-être.

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C’est oublier qu’il y a des choses devant lesquelles on ne peut que fuir : des lieux, des familiers, des raisons qui nous chantent une chanson si médiocre qu’il ne reste qu’à prendre ses jambes à son cou. On part pour s’éloigner d’une enfance étouffante, pour ne pas occuper la niche que les autres déjà vous assignent, pour ne pas s’appeler Médor » »

Il continue… « Il n’est riche que d’illusions à perdre, et d’un immense vocabulaire, sacs de mots à casser comme des cailloux, vrai travail de forçat. Il n’est bourgeois que de Calais ; la corde au cou, il attend le verdict. ».

De l’Heure du Tigre (4 heures) à celle du Chien (21 heures), en suivant le bestiaire du zodiaque chinois, Pestelli s’accorde toute une année à brasser la poussière au chaud avant ce retour qu’il redoute. Adapter sa course à celle du soleil lui donnait entrain et courage ; le patronage de cet astre robuste avait pour lui autant d’importance que pour ces marins d’autrefois, qui ne naviguaient pas sans le secours des étoiles. »

(Nicolas Bouvier : 1929-1998 – écrivain, photographe, iconographe, voyageur Suisse.)

 

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« En juillet 1965, sept siècles après Marco Polo, flanqué de sa compagne et de leurs deux fillettes, un paladin, qui vient d’atteindre la trentaine et se nomme Lorenzo Pestelli, s’apprête lui aussi à entreprendre un imposant périple duquel émergera ce diamant noir, ce journal de voyage à la fraternité crucifiée, ce chef-d’œuvre de ferveur et de douleur qu’est « LE LONG ÉTÉ ».

Regard doux et profond de ménestrel, né de père florentin et de mère belge, il étudie les Lettres à Louvain, à Montréal, puis en Sorbonne, avant de prendre la route.

Le résultat : de notes en piécettes, de scories en poèmes, une œuvre d’une ampleur et d’un lyrisme envoûtants, ciselée jusqu’au sublime, pathétique et parfois radieuse, brassant jusqu’à l’incandescence tout ce qui constitue une conscience malmenée par l’esprit de notre siècle. Une construction baroque où se bousculent tout un débridement à la fois furieux et précieux, les descriptions d’une inhumaine et si humaine crudité et de ces empathies d’une jubilation ou d’une ardeur spirituelle sidérantes de véhémence. »

Extrait de la postface de Jil Silberstein – Né le 17.12.1948 à Paris. Ecrivain, journaliste, éditeur vaudois. Un autre de ses amis.

Il y a tant et tant de choses à en dire. Nous en parlerons dans mon prochain article. Vous aurez droit à un conte pour des enfants, qui rêvent d’une cachette : »LA COURGE », ainsi qu’à d’autres diamants noirs.

Portez-vous bien.